Le colloque qui se prépare à Sciences Po les 5 et 6 décembre en hommage à Bruno Latour est un moment nécessaire pour faire le bilan de l’immense contribution de ce chercheur hors pair que j’ai eu la joie de côtoyer pendant des années. Mais c’est aussi, si l’on en juge par le titre, le moment choisi pour lui construire un monument en figeant la figure protéiforme d’un tel penseur dans une position unique, celle d’un assembleur (l’art d’assembler), ce qui me parait relever d’une légende, par ailleurs parfaitement inutile pour la réputation de Bruno Latour. Il est nécessaire de lever ce malentendu car le terme assemblage a effectivement prospéré dans le monde anglo-saxon au point d’en faire un fourre-tout très peu pertinent.

D’autant plus que, comme le dit en termes feutrés l’invitation au colloque, ce qui a séduit nombre de ceux qui l’ont suivi, écouté, côtoyé, c’était bien plus son esprit subversif et anticonformiste qu’il déployait avec un humour inégalé et parfois il faut le dire, très vache. On ne peut pas dire que le souci principal de Bruno Latour eût été d’assembler mais bien d’étendre, d’explorer, de repeupler le social. Dans ce sens, à la rigueur, cette capacité à aller chercher les actants, non humains notamment, qui n’ont pas d’existence dans les explications sociologiques classiques ni dans les ontologies philosophiques traditionnelles pourrait être comprise comme un art d’assembler. Mais précisément, c’est là où l’assemblage devrait faire débat et non servir d’ombrelle à tout.

J’ai moi-même dû batailler dans des congrès internationaux où j’étais supposé représenter la théorie de l’acteur-réseau pour calmer la tendance (des anglo-saxons surtout) à fourguer des descriptions sans fin (thick descriptions soi-disant) de situations ou d’entités complexes en les habillant du seul terme d’assemblage. Assemblage ne veut à peu près rien dire, il faudrait le rappeler aux étudiants, en leur faisant lire les travaux de Bruno Latour où il montre précisément comment ce qui compte c’est la variété des modes d’assemblage (comme dans les modes d’existence) et donc la faible pertinence d’un concept fourre-tout puisque non discriminant alors qu’on devrait prendre soin de repérer les médiations et non seulement les intermédiaires.

C’est là un premier niveau (1) de contestation de la prétention à utiliser « assembler » comme critère clé de la pensée de Bruno Latour. Le deuxième est celui de sa pratique organisationnelle (2), de sa façon de fabriquer les assemblages autour de son œuvre et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça disloquait autant que ça assemblait. Et le troisième point de vue (3) sera politique où je montrerai comment Bruno Latour (et moi avec lui) nous nous sommes fourvoyés dans cette stratégie d’assemblage jusqu’à ce que l’un et l’autre, avec des modalités différentes, ne réhabilitions la vertu du conflit.

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