Il est plutôt rare de voir une œuvre artistique mettre en scène aussi excellemment une théorie scientifique sans aucune concertation par ailleurs. En l’occurrence, “La chienlit. Episode 1: pour un fascisme ludique et sans complexe” qui passe au théâtre du Roi René au festival d’Avignon en ce moment, mobilise tous les ressorts de ma théorie des propagations.

Mais ce n’est pas le plus important: avant tout, c’est un spectacle d’orfèvre en matière de mise en scène, une horlogerie mimétique parfaite entre les 7 acteurs, qui ne faiblit à aucun instant et qui nous fait rire en permanence. Tous les procédés des conversations ordinaires des collectifs (les réunions) sont repris, montrés, répétés pour en faire un ressort comique puissant mais aussi un indicateur que la démocratie ,c ‘est aussi la capacité collective à délibérer, dans une réunion de copropriété comme dans un conseil municipal, et que de ce point de vue, le mal est profond. Mais le fascisme du titre n’est pas du tout évoqué dans la pièce qui sait montrer plutôt comment les incapacités au débat rendent probable l’appel à une autorité ( ce qui sera sans doute l’objet des autres épisodes). ça ressemble vraiment à ce que nous vivons actuellement mais en fait c’est issu d’une forme d’enquête de toute la troupe (Grand colossal Theatre, directeur et metteur en scène Alexandre Markoff) qui dure depuis 2015 ( et dont l’intégrale sera donnée en 2025). C’est une expérience obligatoire pour toutes les formations en communication, car on y trouve du Goffman, du Searle et même du Sartre (sans le dire évidemment!), dans le même paquet cadeau, à mourir de rire en plus!! Certes, la propagation des rumeurs et leurs transformations est mise en scène, le mimétisme collectif dans les (non-) décisions, le rôle du non-verbal dans les interactions et de tous les signaux du voisinage qui nous influencent malgré nous, mais l’analyse des situations est d’une finesse rare et la virtuosité de l’exécution est remarquable et procure un plaisir immense aux spectateurs qui se reconnaissent très bien dans tous ces ratés ordinaires de la communication. Et le voisinage apparait encore plus comme un principe de viralité absolument clé (les réseaux sociaux sont juste évoqués, ce sont les situations face à face qui sont essentielles et les signaux élémentaires qui s’y propagent. Les conséquences en termes de vie publique et d’apprentissage du débat sont radicales car ces signaux sont cadrés aussitôt dans des analyses que véhiculent les médias ( absents de la pièce) pour encourager des effets de bouc-émissaires que l’on sent émerger dans cet épisode.
On en ressort plus intelligent et plus lucide et avec une envie de jouer avec toute le troupe. Quelle merveille, quelle puissance, le théâtre! Espérons que ce soit contagieux aussi, et que cela opère comme un antidote à tous les lavages de cerveaux médiatiques et manageriaux!